mercredi 25 janvier 2017

Fragments #1

Dans leur  voyage parsemé d'embuches, une nouvelle porte vient de s'ouvrir, une brèche donnant sur l'espoir. Demain, un ferry transportera Nargis et Zahra vers une nouvelle étape, une nouvelle attente, un peu plus proche d'un futur enfin stable : Afghanistan, Turquie, Samos, Athènes.. jusqu'à, enfin, le droit de rejoindre leur famille ? Après presque deux mois passé à leur coté, en tant que professeure improvisée, à observer leurs progrès, leurs doutes, à partager leurs éclats de rires, la perspective, légèrement plus nette, de voir leur existence cesser d'être suspendue au dessus de l'incertitude dissout le spleen de l'au revoir.

Mais la joie s'effrite - si la fréquence des départs pour les terres continentales s'est accentuée depuis deux semaines, d'autres enfants restent encore coincés sur l'île. Le manque de place dans les abris fournis par les ONG Save the Children, MSF, Praksis ou par le HCR fait que nombre d'entre eux voient leur enfance se dérouler, après l'exode, dans le camp. Des mois à patauger derrière les grilles.

Ce texte est le fragment d'une fulgurance; l'apparition soudaine d'une réalité crue, nue, dans un regard.

"Des yeux noirs, le regard posé sur l'horizon, ailleurs ;
Le visage d'une enfant
se détache du monde
sauf de l'arrière plan
Des rangées de barreaux coiffés de barbelés enroulés, cisaillant le ciel.
Elle a six ans, sept, huit,
Qui s'en soucie ?
Elle regarde
Le vent soulève la poussière, atmosphère, et ses cheveux d'or cendré contrastent avec l'iris noir
Elle est debout.
Tout à coup c'est un tableau réel
le visage, le regard, le silence et le mur de grilles glacées.
Elle riait, ensuite, de toute son âme,
mon rire à moi était empli d'éclats de verre, douloureux, plein de cette image, de ces murs, de la poussière
Une injustice ignoble
Des enfants, là, parqués dans des tentes et des blocs en PVC
existences quadrillées suspendues,
précarité absolue
Tous les jours, les enfants courent, jouent,
ils nous appellent
pour les pousser sur une balançoire improvisée, pour admirer leur dessin, pour taper dans la balle, pour que nous les prenions dans les bras
Pareil qu'ailleurs chez les enfants autorisés.

Les arguments de là-bas se chevauchent, se heurtent, grincent, : du bruit, agitations.
Ici, ce sont des gosses coincés dans l'attente ; cerclés d'inconnu, oubliés et masqués, des gosses !
Tout ce qui est dit là-bas,
ces grandes enfilades de raisons et de causes 
lancées les unes contre les autres 
dans une gigantesque mascarade de positions et de postures sérieuses,
Se dissipe ici en de grandes nuées de néant
Poussière après le heurt avec le réel
Poussière que le vent jette dans ses cheveux
bourrasques ;
Elle, elle est en suspension
entre deux mondes possibles
Et regarde.

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