jeudi 12 janvier 2017

Du provisoire perpétuel


Des grappes de policiers occupent leurs mètres carrés réglementaires devant les grilles du camp de Vathi, sur l'île de Samos, à une poignée de kilomètres des côtes turques. Les délimitations tracées à l'acier sont devenues inutiles : le modèle du hot spot clos et hermétique résiste mal aux contraintes du réel. Des flopées de tentes jouxtent le camp, et réfugiés comme bénévoles vont et viennent, sous le regard impavide des pandores et des caméras. Les barbelés semblent ici n'être que le symbole meurtrier des frontières de l'Europe, contre lesquelles sont venues se heurter près de 1,4 millions de personnes entre 2015 et 2016. L'année 2017 s'ouvre à Samos, tout comme sur les îles de Lesbos et de Chios, par la même hypocrisie et le même déni : l'urgence se fond dans le quotidien et le temporaire s'étire indéfiniment.

Conçu comme un centre de tri de migrants à ciel ouvert, le camp de Vathi a vu passer près de 120.000 personnes en deux ans, et si le nombre d'arrivée a drastiquement baissé depuis l'accord UE-Turquie du 18 mars 2016 (1), il reste surpeuplé : prévu pour accueillir 850 personnes, il est aujourd'hui occupé par près de 1900 réfugiés. La précarité des hommes et des femmes parqués dans le camp en est fortement aggravée : les stocks de produits d'hygiène ou de vêtements s'amenuisent, les files d'attente s'allongent, l'accès à l'eau chaude reste quasiment impossible... Sur cette langue de terre escarpée, l'alignement de tentes sommaires, parfois juxtaposées aux sanitaires, est acceptée comme solution à l'engorgement du centre. Certaines familles avec enfants vivent sous les grandes tentes du HCR (2), certes relativement robustes, mais peu amènes à protéger efficacement contre le froid et l'humidité de l'hiver. La liste d'attente pour avoir accès à des logements décents sur l'île, fournis par pincées, est longue. Les cellules de prison, elles aussi, débordent de migrants incarcérés.

La saturation ne peut plus être expliquée, comme ce fut le cas auparavant, par l'ampleur des vagues migratoires en Grèce : en décembre 2015, plus de 118.000 personnes y débarquaient; en décembre 2016 moins de 1350 nouveaux arrivants ont été décomptés. Les constants appels du HCR en faveur du transfert des demandeurs d'asile enregistrés vers la Grèce continentale, où des places sont disponibles et les conditions d'existence moins intolérables, ne provoquent que très peu de départs. Dans les complexes jeux d'intérêts dont les migrants constituent une monnaie d'échange et une matière à discours, il est difficile de discerner problèmes logistiques et intentionnalités cyniques. Mais il est clair que le maintien des réfugiés sur les îles grecques, et leur maintien dans des conditions d'existence indignes, reflètent à la fois la volonté de décourager les exilés souhaitant traverser les périlleux kilomètres de mer qui les séparent de l'Europe, et l'espoir de pousser celles et ceux qui restent bloqués sur l'île, plongés dans une attente indécise, de quitter « volontairement » l'Union Européenne. Quoi qu'il en soit, le déplacement des réfugiés vers les terres intérieures ne résoudront rien tant que les pays européens continueront de clore leurs frontières en fermant les yeux sur la situation catastrophique en Italie et en Grèce.


(1) cf Déléguer pour mieux réprimer, juin 2016
(2) Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR)


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