Des grappes de policiers occupent leurs mètres carrés réglementaires devant les grilles du camp de Vathi, sur l'île de Samos, à une poignée de kilomètres des côtes turques. Les délimitations tracées à l'acier sont devenues inutiles : le modèle du hot spot clos et hermétique résiste mal aux contraintes du réel. Des flopées de tentes jouxtent le camp, et réfugiés comme bénévoles vont et viennent, sous le regard impavide des pandores et des caméras. Les barbelés semblent ici n'être que le symbole meurtrier des frontières de l'Europe, contre lesquelles sont venues se heurter près de 1,4 millions de personnes entre 2015 et 2016. L'année 2017 s'ouvre à Samos, tout comme sur les îles de Lesbos et de Chios, par la même hypocrisie et le même déni : l'urgence se fond dans le quotidien et le temporaire s'étire indéfiniment.
Conçu comme un centre de tri de
migrants à ciel ouvert, le camp de Vathi a vu passer près de
120.000 personnes en deux ans, et si le nombre d'arrivée a
drastiquement baissé depuis l'accord UE-Turquie du 18 mars 2016 (1),
il reste surpeuplé : prévu pour accueillir 850 personnes, il
est aujourd'hui occupé par près de 1900 réfugiés. La précarité
des hommes et des femmes parqués dans le camp en est fortement
aggravée : les stocks de produits d'hygiène ou de vêtements
s'amenuisent, les files d'attente s'allongent, l'accès à l'eau
chaude reste quasiment impossible... Sur cette langue de terre escarpée,
l'alignement de tentes sommaires, parfois juxtaposées aux
sanitaires, est acceptée comme solution à l'engorgement du centre. Certaines
familles avec enfants vivent sous les grandes tentes du HCR (2),
certes relativement robustes, mais peu amènes à protéger
efficacement contre le froid et l'humidité de l'hiver. La liste
d'attente pour avoir accès à des logements décents sur l'île,
fournis par pincées, est longue. Les cellules de prison, elles
aussi, débordent de migrants incarcérés.
La saturation ne peut plus être
expliquée, comme ce fut le cas auparavant, par l'ampleur des vagues
migratoires en Grèce : en décembre 2015, plus de 118.000
personnes y débarquaient; en décembre 2016 moins de 1350 nouveaux
arrivants ont été décomptés. Les constants appels du HCR en
faveur du transfert des demandeurs d'asile enregistrés vers la Grèce
continentale, où des places sont disponibles et les conditions
d'existence moins intolérables, ne provoquent que très peu de
départs. Dans les complexes jeux d'intérêts dont les migrants
constituent une monnaie d'échange et une matière à discours, il
est difficile de discerner problèmes logistiques et intentionnalités
cyniques. Mais il est clair que le maintien des réfugiés sur les
îles grecques, et leur maintien dans des conditions d'existence
indignes, reflètent à la fois la volonté de décourager les exilés
souhaitant traverser les périlleux kilomètres de mer qui les
séparent de l'Europe, et l'espoir de pousser celles et ceux qui
restent bloqués sur l'île, plongés dans une attente indécise, de
quitter « volontairement » l'Union Européenne. Quoi
qu'il en soit, le déplacement des réfugiés vers les terres
intérieures ne résoudront rien tant que les pays européens
continueront de clore leurs frontières en fermant les yeux sur la
situation catastrophique en Italie et en Grèce.
(2) Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR)
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