"Ce qui différencie ici de là-bas, c'est qu'ici il n'y a pas d'échappatoires en artifices, le réel persiste. Il s'agrippe à vous, à la cheville et au cœur, rejaillit sur le visage en écume et en larmes belles car épuisées d'être vraies, si vraies. La vérité est nue, si intensément nue, le couvercle l'opercule le miroir l'ombre la brume ont sauté.
Sur la
plage, à la recherche d'une marche
d'instants
arrachés au temps
le réel a
ressurgi, apporté par la marée,
brusque en
un tas de loin indistinct
et puis, là,
couleurs pile entassement sur le rivage
des morceaux
de vie crus que la mer a recraché
A la vue du
ciel indifférent d'azur
des enfants
des parents en papiers
étonnamment
intacts
Qu'en est-il
des humains ?
ont-ils
sombré, ne reste-t-il d'eux que des papiers, une pile de vêtements
et une sandale d'enfant ?
Qu'ont-ils
perdu, les preuves des errances d'une vie ou la vie elle-même ?
Sur la
grève, le récit d'un naufrage
Naufrage
collectif aux mille visages
des années
d'audace ou d'indifférence criminelles, jeter les vies à la mer,
ne pas même
leur accorder les mots que portent, elles, les bouteilles
solitaires ;
Nous parlons
de laisser-faire, mais il y a des actions, des plans, des mesures,
et des
phrases qui les enrobent, empaquettent des décennies glaciales
comme l'eau,
froide, si froide ; glissent sur elle les ombres les nombres les
autres.
Une famille
tirée des numéros ; son histoire, un fragment de son parcours
sous des lettres imprimées, que la marée n'a pas bouffé ;
langue allemande je ne discerne que le terme d'asylum et celui
de flight, vol Hamburg-Kaboul, 2016, en-tête OIM, départ
volontaire, si volontaire que quatre ans plus tard ils s'embarquent
sur un rafiot de fortune en plein hiver.
J'ai vu, à
nouveau, si brutale et glaciale, sur la grève la claque du réel."
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