dimanche 19 janvier 2020

Fragments #2



"Ce qui différencie ici de là-bas, c'est qu'ici il n'y a pas d'échappatoires en artifices, le réel persiste. Il s'agrippe à vous, à la cheville et au cœur, rejaillit sur le visage en écume et en larmes belles car épuisées d'être vraies, si vraies. La vérité est nue, si intensément nue, le couvercle l'opercule le miroir l'ombre la brume ont sauté.
Sur la plage, à la recherche d'une marche
d'instants arrachés au temps
le réel a ressurgi, apporté par la marée,
brusque en un tas de loin indistinct
et puis, là, couleurs pile entassement sur le rivage
des morceaux de vie crus que la mer a recraché
A la vue du ciel indifférent d'azur
des enfants des parents en papiers
étonnamment intacts
Qu'en est-il des humains ?
ont-ils sombré, ne reste-t-il d'eux que des papiers, une pile de vêtements et une sandale d'enfant ?
Qu'ont-ils perdu, les preuves des errances d'une vie ou la vie elle-même ?

Sur la grève, le récit d'un naufrage
Naufrage collectif aux mille visages
des années d'audace ou d'indifférence criminelles, jeter les vies à la mer,
ne pas même leur accorder les mots que portent, elles, les bouteilles solitaires ;
Nous parlons de laisser-faire, mais il y a des actions, des plans, des mesures,
et des phrases qui les enrobent, empaquettent des décennies glaciales
comme l'eau, froide, si froide ; glissent sur elle les ombres les nombres les autres.

Une famille tirée des numéros ; son histoire, un fragment de son parcours sous des lettres imprimées, que la marée n'a pas bouffé ; langue allemande je ne discerne que le terme d'asylum et celui de flight, vol Hamburg-Kaboul, 2016, en-tête OIM, départ volontaire, si volontaire que quatre ans plus tard ils s'embarquent sur un rafiot de fortune en plein hiver.
J'ai vu, à nouveau, si brutale et glaciale, sur la grève la claque du réel."



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