vendredi 10 février 2017

Solidaires à travers les frontières

 

Composer avec les paradoxes :

Récit succinct du bénévolat dans un camp de réfugiés



Peintures dans le camp de Samos, réalisée par deux réfugiés


Des vagues de révoltes contre l'injustice, une décision : devenir bénévole, aller là-bas, où l'intolérable se joue. En débarquant sur l'île grecque de Samos, nous sommes malgré nous chargés d'images spectaculaires et d'abstractions désincarnées. Mais, au fil des jours, visages, rires et récits de vie se substituent aux attentes que nous avions pu forger. Immédiatement, nous faisons partie d'un collectif composé de bénévoles et de réfugiés venus des quatre coins du monde, réunis autour d'un travail commun : tenter de rendre la vie dans le hot spot, cet espace clos et cerclé de barreaux, moins intolérable. Glisser quelques pincées de normal et d'humanité dans le grand mécanisme de tri entre admissibles et indésirables que l'Union Européenne a mis en place.

Le groupe dont je fais partie, Samos Volunteers (1), est une petite organisation indépendante et auto-organisée. Nous sommes, avec les membres de Boat Refugee Foundation (2), les seuls bénévoles à travailler quotidiennement dans le camp (3). Rejetant toute forme de charité et de pitié, nous orientons nos actions dans le sens de la solidarité. Nous ne distribuons pas des vêtements mécaniquement, nous tentons de coller au mieux aux besoins et aux désirs de celles et ceux que nous rencontrons. Nous ne versons pas à la chaîne du thé dans des gobelets à des inconnus, nous passons des heures à discuter et à rire en se réchauffant mutuellement par l'écoute et le partage. Nous ne regardons pas les enfants lancés sur la route de l'exil avec pitié, nous jouons avec eux et encourageons leurs progrès dans les cours que nous dispensons.
C'est après des semaines de tractations, d'errances dans le dédale des circuits bureaucratiques, de résolutions de problèmes logistiques, qu'un projet prend forme et se réalise. Tout un travail de fourmi, invisible et nécessaire, qui fait éclore la joie de voir s'ouvrir une nouvelle classe de langue, débuter des cours de karaté dispensés par un réfugié ou se dérouler une grande distribution de vêtements à travers le camp battu par la pluie.

Nous avons conscience d'être un palliatif utile et gratuit aux insuffisances des autorités locales et supranationales, nous voyons les paradoxes et l'inertie, mais nous devons être ici. Souvent, nous nous heurtons aux paperasses, à la logique répressive du camp, aux procédures infantilisantes. Un camp reste un camp, et celui-ci, comme ceux de Lesbos ou de Chios, a été conçu pour être un grand centre de tri à ciel ouvert. Mais nous continuons, ensemble et avec acharnement. Notre travail nous mène parfois à une joie intense, comme fut celle que j'ai pu ressentir en voyant partir pour Athènes deux jeunes Afghanes auxquelles j'ai donné des cours d'anglais pendant presque deux mois. Une nouvelle attente, toujours en suspension, certes, mais une nouvelle étape vers, enfin, une existence stable .. ? L'espoir survit. Et nous sommes heureuses et heureux, même si tout ce que nous faisons restera insuffisant tant que les frontières resteront hérissées de barbelés, de pouvoir concrètement agir, sur le terrain, en faveur de la dignité et de la solidarité.


Les actions de Samos Volunteers


Le matin, dès 7h, une équipe est debout pour partager un thé matinal et gorgé de sucre, comme la plupart de gens vivant dans le camp l'aime. Bientôt, les autres bénévoles débarquent pour réceptionner le « restock » préparé la veille, des sacs de vêtements à ranger dans la cabine, avant la distribution. 
Pendant celle-ci, les langues se croisent : anglais, arabe, farsi, espagnol, kurde, dari, français, swahili, forment une mélodie étonnante. Vêtements, couvertures et produits d'hygiène sont distribués.
Au même moment, certains donnent des cours d'anglais ou d'allemand dans un centre à proximité du camp, et d'autres assurent des activités pédagogiques avec des enfants placés dans les quelques abris que les organisations avec lesquelles nous travaillons ont pu dénicher en ville. L'après-midi, les cours de langue, les activités avec les enfants et la distribution de thé se poursuivent, tandis qu'à l'entrepôt un groupe de bénévoles chargent et déchargent les dons, les trient et les rangent, puis reçoivent la liste de ce qu'il faudra envoyer le lendemain au camp. Au loin, des rires résonnent, ce sont ceux des femmes venues passées un moment en dehors des grilles, un moment à elles. Plus tard, deux bénévoles retournent au camp, pour clore la journée en remplissant d'eau chaude les bouillottes distribuées la semaine passée.  
Clore la journée : une expression qui, ici, n'a finalement que peu de sens ; l'arrivée de nouveaux réfugiés, lancés sur la mer meurtrière, peut survenir à tout moment, et nous nous tenons toujours prêts, pour nous assurer qu'ils reçoivent le plus rapidement possible vêtements chauds et couvertures.
Ponctuellement, sont organisées de grandes distributions, recouvrant l'intégralité du camp - un travail éreintant mais nécessaire. Le fait que nos ressources – tant humaines que financières – soient limitées ne permet pas d'en déployer régulièrement ; mais nous faisons tout pour les rendre les plus nombreuses et variées possibles : cadeaux de Noël pour l'intégralité des enfants, lot de vêtements pour tous les adultes, lors d'une période de froid et de pluie intense, paire de chaussures neuves pour les hommes adultes...

Ces dernières semaines furent particulièrement intenses. Outre le fait que nous avons rendu plus récurrentes les grandes distributions de vêtements, que nous avons du prendre en charge l'achat de nombre de produits de première nécessité (4), nous avons également multiplié réunions et initiatives pour développer nos activités psychosociales et éducatives. Nous désirons nous décharger du travail qui devrait relever des autorités présentes sur place, afin de nous consacrer plus fortement à celles-ci. L'absence d'accès à l'école pour les enfants, l'inexistence d'activités sportives, artistiques, collectives pour les réfugiés, rendent encore plus insupportable leur maintien forcé dans un camp insalubre aux frontières de l'Europe-forteresse.


Toutes nos actions ne défont pas l'injustice d'un camp de réfugiés et le poids de l'attente ; mais nous nous efforçons, chaque jour, de faire vivre la solidarité et l’entraide. 
Malgré les frontières, malgré l'indifférence criminelle, nous gardons les bras ouverts.








(2) Boat Refugee Foundation assure notamment un service de soins médicaux journalier et procure une aide matérielle et humaine aux mères de jeunes enfants.
(3) Le camp répond officiellement à l'appellation de hot spot : il est donc sensé être un centre hermétique de tri de migrants. Cependant, dans les faits, le manque de moyens et de volonté des autorités présentes sur place font qu'une grande partie des besoins des réfugiés sont couverts par l'action de bénévoles.

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